Traces de vie: Le pardon
Dans le cadre de mon travail j'ai accompagné des femmes vers leur autonomie et leur souveraineté.
Dans ce cadre là, il y a quelques années, j'avais été sollicitée par une femme engagée, pour apporter mon témoignage à "La journée des violences faites aux femmes".
J'ai spontanément dit oui, j'étais prête. Il s'agissait de lire sur scène un texte de notre propre histoire. Au début, je n'avais pas mesuré le cadeau qui m'était fait de relire une partie de ma vie, si lointaine, j'étais juste étonnée de pouvoir le faire simplement.
Alors que je posais les mots sur le papier, ce qui est remonté était d'une telle intensité que j'en ai été saisie. Au fil des jours, c'est au final du processus de pardon auquel j'étais conviée.
J'ai donc fait le choix de rendre ce texte public.
Au début des années 1970, je suis " tomber amoureuse". J'étais toute jeune, à peine 16 ans. Il était plus âgé, et j'étais fascinée par ce grand qui s'intéressait à moi.
Je ne connaissais rien des relations avec les hommes, personne dans la famille ne m'en avait parlé. Les choses allaient de soi. J'allai passer mon bac, me marier et avoir des enfants. Voilà tout ! Alors pourquoi expliquer quoique ce soit. On se débrouillait entre copines pour les infos échangées " sous le manteau".
A 18 ans moins quelques semaines, je me suis mariée et voilà la suite de l'histoire.
Adieu,
Adieu amour port d'attaches
Adieu amour jeux infantiles
mes larmes coulent sur ton visage durci, fermé
Qu'as-tu, où es-tu ?
As-tu oublié le chant des oiseaux ?
Mal monde, j'étouffe
De vos sens désappris
De vos guerres en vous-même
Oubliez
Oubliez, pour mieux vous retrouver
Oubliez votre phallus en verve
Chant du mal de voix étouffées par les larmes
La jouissance je m'en fous
C'est mon cœur qui a mal.
Tel un cri
Déchirant l'espace
Bannissant la vie
Je suis morte
Printemps 1974 – J'ai 20 ans.
Nous étions jeunes et nos cœurs pleins d'espoir, mais notre incapacité à aimer nous a percutée de plein fouet. La violence verbale devenait trop présente au cœur de nos disputes… alors je suis partie.
J'avais la clef de la maison de mes parents qui vivaient à ce moment là en Espagne. Je m'y suis installée seule. J'ai continué à travailler et retrouvé un semblant de liberté.
… Un soir… il sonne à ma porte, j'ouvre, confiante. A peine ai-je le temps d'ouvrir la porte qu'il me pousse, il me pousse violemment et je me réfugie au fond du couloir dans une chambre… il me jette sur le lit et me saisit à la gorge.
Respirer… Respirer… Respirer…
Cela devient de plus en plus difficile.
Emporté par une crise de jalousie, il serre… serre mon cou de plus en plus fort…
Plus je me débats plus il serre… J'ai peur… très peur… Je vais mourir… sous la violence de sa "folie"....
Dans un éclair de lucidité … qui me sauve la vie, je relâche… je relâche tout mon corps et … Je … " fais la morte". Longtemps, longtemps, assez longtemps pour qu'il se calme.
Pour qu'il lâche à ton tour, desserre l'emprise autour de mon cou. Tout s'arrête, le silence me fait dire que je dois être épargnée. Etendue sur le lit, je tente de me lever… péniblement. Je tremble… de tout mon être. En me relevant difficilement du lit, je saisie furtivement un coupe- papier qui traîne sur le secrétaire de la chambre…
Me protéger… comme je peux.
A l'instant où je réunis le peu de forces qu'il me reste pour arrêter ce carnage, je lève les yeux et croise son regard… La peur se lit dans ses yeux, le coupe papier glisse de ma main, à mes pieds et je m'écroule en soubresaut de larmes.
Tout c'est joué à un fil. Le fil du destin. Tout cela c'est passé très vite.
Il est là devant moi, il ne comprend pas ce qui vient de se passer, il s'excuse et s'en va, aussi vite qu'il es venu.
Pourquoi ? Que t'est-il arrivé ?
Quelques minutes, et ma vie vient de basculer … J'ai 20 ans ma vie s'arrête, je suis morte.
Alors je suis partie, loin, très loin. Loin des amis, loin de la famille, loin de la Vie. J'ai quitté la région. Comme si la honte m'envahissait de toutes parts. Je me suis cachée pour éviter la haine.
Adieu amours, jeux infantiles. Adieu amours, port d'attache.
L'hiver est passé devant ma porte. Je me suis recroquevillée, couverte de neige pour me mettre en silence. J'ai marché longtemps, très longtemps sur le continent du vide. Puis un jour je me suis réveillée… Il me fallait retrouver le sens de ma vie.
Je suis allée … consulter. Traumatisme profond …Tentative de meurtre !!!
- "Oh non c'est pas ça, vous voulez rire, c'est bien trop fort."
Comme il a été difficile de nommer avec les mots justes l'expérience traumatique. Je n'avais même pas conscience que j'étais dans le déni du choc, que je portai un lourd secret. Juste je n'en parlais pas, c'est tout, à personne. Je n'ai pas porté plainte, pour quoi faire ?
Victime me disait-on. Victime ??? Oui … Si j'étais victime alors nous l'étions tous les deux. Victimes d'un système. Victimes d'une éducation. Victimes d'une société, d'une civilisation. Victimes de notre inhumanité.
Le processus a été long, a duré des années.
Et pourtant, un jour, je le voulais au plus profond de moi-même, ça ne pouvait être que ce chemin, mon chemin, je t'ouvrirai les bras. A toi, à moi, à nous, à nos guérisons.
Mais d'abord il me fallait apprendre, apprendre à aimer … A m'aimer, à écouter et à soigner mes blessures… J'ai pris la jeune fille que j'étais par la main, j'ai écouté son désarroi… Je me suis accompagnée sur le chemin de la reconstruction… de la réparation… de la réconciliation… J'ai déposé la rancœur… Laisser partir la vengeance… Stopper son pouvoir de destruction… J'ai reconnu mes peurs.
J'ai déposé les armes… Enfin ! J'ai ouvert mon cœur au flot de douleurs. Ma tristesse muselée c'est métamorphosée.
Le temps a fait son oeuvre.
Puis un jour à la radio, j'ai entendu le témoignage de Phan Thi Kim Phuc,
Cette femme devenue adulte y racontait son histoire. L'histoire de cette photo qui a fait le tour du monde . On la voit nue, courant enfant, le corps brulé par une bombe au napalm, pendant la guerre au Viet Nam le 8 Juin 1972, …. l'année de mon mariage… Le photographe Nike Ut, qui avait pris la photo, lui a sauvé la vie.
En 1996, elle rencontre le pilote John Plummer, devenu révérend, l’homme qui avez coordonné l’attaque au napalm de son village. Lors d’une conférence à Washington, Kim raconte « J’ai appris à pardonner, mais le vrai test qui montrait que mon cœur avait changé a été ce jour-là à Washington, de le retrouver.
Il pleurait comme un enfant : - “Me pardonnez-vous ? ”.
Je lui ai répondu : - “Oui, je vous pardonne, c’est bien pour cela que je suis ici”. Nous nous sommes pris dans les bras et nous avons pleuré. Trois heures plus tard, nous avons échangé plus longuement à l’hôtel. C’était un vrai soulagement pour chacun de nous et une vraie réconciliation. Aujourd’hui, nous prions l’un pour l’autre ».
Elle disait aussi "Je ne peux pas changer le passé, mais avec de l'amour je peux changer l'avenir".
Son message de paix est venu bousculer mes certitudes, m'ouvrir d'autres horizons.
Ce cheminement spirituel qui l'a conduite à la sérénité me montrait la route à suivre: Celle du Pardon. Si elle avait pu pardonner pour un acte d'une telle violence, alors je devais être capable de le faire aussi. La paix que j'espérais tant pour notre monde, devait d'abord commencer à l'intérieur de moi. Ces valeurs spirituelles faisaient écho aux miennes.
J'ai pu libéré mon cœur de la haine, tourner en rond les pensées de vengeance n'avait plus aucun sens. J'ai appris à protéger mon territoire, a dire un vrai non, pour dire de vrais oui, qui viennent du cœur.
J'ai pardonné le jour où j'ai su que je pouvais t'ouvrir à nouveau les bras, en toute conscience et lucidité.
Mais, il me fallait encore faire un pas… te revoir. Me confronter au réel.
Automne 2019 - J'ai 65 ans
45 ans viennent de passer …
Je marche dans la rue des oliviers où tu as ton travail. J'ai repris contact avec toi … merci Facebook. Tu sais que je suis là pour quelques jours avec ma fille. Je suis revenue ici passer des vacances, pour renouer avec mon passé et te rencontrer. Mais je n'ose.
Ma fille, qui m'accompagne, me soutient avec bienveillance:
- "Tu es venue pour ça maman, tu ne va pas repartir sans le faire."
Une grande respiration, le vide ce fait dans ma tête, je traverse la rue, je m'approche et te regarde à travers la vitre de la porte d'entrée. Tu sors immédiatement, laissant ta cliente… Nous sommes là, sur le trottoir, en face l'un de l'autre...Tremblants d'émotions.
As-tu fait le chemin ?
Nous échangeons ce qui semble être des futilités. Tout ce joue dans un ailleurs, je sens au plus profond de moi que je suis en train de franchir une étapes importante de ma vie. 10 minutes, 10 petites minutes qui vont changer mon futur.
J'ai 65 ans et ma vie s'unifie. Je suis touchée, bouleversée. Mes pas me portent ensuite vers une boulangerie, je m'achète une pissaladière. Je marche dans les rues, en larmes jusqu'à la voiture qui va nous reconduire vers l'Ariège. Je m'installe confortablement côté passager, toujours en larmes, incapable de conduire, ma fille s'installe au volant.
- " Maman, tu viens de me donner une magnifique leçon d'amour. Cela se voit que vous vous êtes aimé." me dit-elle.
Nous voilà reparties. Je bascule mon siège, position repos. Des larmes coulent sur mon visage, je suis en paix. Le silence nous enveloppe, je ferme les yeux quand l'invisible se manifeste, des êtres de lumière se présentent comme une couronne auréolée devant moi, ils me sourient. Il émane d'eux une lumière chaleureuse, étincelante. Une pluie de bénédictions emplit l'espace d'amour. Le monde subtil est en joie, l'univers répond par un amour inconditionnel au pardon que je nous offre. La grâce habite mon cœur… Je suis touchée au plus profond de mon être. Emerveillée et surprise !
La puissance de cet instant continue à œuvrer par delà les années. Cet amour divin dilate ouvre, agrandit ma vie et parfois m'enivre.
Aujourd'hui, je suis, femme debout
“Chanteuse de vie“
Je suis, port de lumière
Sans attache, sans haine
Silencieuse et pleine
Je suis … à l'infini
"Traces de vie: Le pardon" de Frédérique d'Amato- Texte soumis aux droits d'auteur. Reproduction partielle possible en citant l'auteure.